Il n’est pas un jour, pas une conférence internationale, pas un reportage sur le monde économique financier sans que le Fonds Monétaire International n’apparaisse comme l’oracle de l’orthodoxie et l’expert du rétablissement des grands déséquilibres.
Mais cette fonction est elle inscrite dans les textes, dans la nécessité et dans la pertinence ?
Avant même la fin de la seconde guerre mondiale, le système monétaire et financier international était dévasté. Recréer les flux de commerce international et les systèmes financiers et monétaires afférents dès après la guerre était devenu indispensable et particulièrement urgent. Sous les auspices de l’ONU (eux-mêmes en cours de création) et sous la férule des États-Unis, seul pays encore à peu près vraiment debout après le séisme de la guerre mondiale, le Fonds Monétaire International fut créé en juin 1944 lors de la conférence de Brettons Woods qui se déroula dans le New Hampshire.
John Maynard Keynes y prôna l’audace ; on y décida une timide demi-mesure.
L’esprit et la lettre des statuts du FMI étaient de créer les conditions de réalisation d’un nouveau système monétaire et donc financier fondé sur l’étalon or, le gold exchange standard. Le dollar étant couplé à une valeur fixe de l’once d’or, les devises étaient couplées sur le dollar et donc directement et/ou indirectement sur l’or. La convertibilité de fait des monnaies du FMI était fondée sur cette convertibilité transitive : la monnaie A ou B est convertible en dollar lui-même convertible en or.
Quelques fluctuations, réévaluations et évaluations dont furent friandes les autorités monétaires françaises et italiennes (dévaluations) dans les années 60 et 70 et allemandes (réévaluations techniques ou de fait) ponctuèrent les activités du FMI pendant 30 ans.
Le mécanisme des droits de tirages spéciaux fit le reste, donnant au système les liquidités suffisantes pour soutenir les parités de monnaies : chaque pays est invité à déposer des fonds auprès du FMI. En cas de spéculation défavorables, les pays peuvent emprunter à concurrence du montant de leurs droits de tirage, voire plus.
Parallèlement, les banques centrales des pays membres du FMI jouèrent le jeu de la défense des parités en intervenant sur les marchés monétaires en achetant une devise attaquée.
Selon un ballet bien réglé la stabilité du système international fut alors assurée pendant plusieurs décennies mais la suspension de l’étalon or et de la convertibilité du dollar par Richard Nixon en août 1971 détermina la fin d’une ère de stabilité.
De fait, le Fonds Monétaire International cessa d’exister ce jour-là. Ou plus exactement il cessa d'exister sous la forme qu’on lui connaissait jusqu’ici. Le système monétaire international n'étant plus stable, il n’y avait plus ni besoin, ni possibilité de le stabiliser. Le FMI ne le pouvait pas, ne le pouvait plus.
Comme le droit public économique international a horreur de supprimer ce qu’il a créé, on laissa le FMI subsister en allant chercher dans ses statuts sa partie la plus générale et la plus généraliste pour désormais la mettre en exergue.
Selon l’expression consacrée, en plus de ses activités de soutien à la stabilité monétaire désormais le FMI devait promouvoir la coopération monétaire internationale, garantir la stabilité financière, faciliter les échanges internationaux, contribuer à un niveau élevé d’emploi, à la stabilité économique et à faire reculer la pauvreté.
Ces missions honorables et essentielles, mais exprimées dans un langage très général, ont constitué le socle de la nouvelle mission du FMI : intervenir partout et tout le temps selon le souhait des gouvernements de la planète qui avaient besoin de lui.
La première phase du redéploiement du FMI fut celle de gendarme délégué du monde : le FMI, envoyé par les pays riches était chargé d’énoncer les mauvaises recettes pour sortir de la crise aux pays qui se trouvaient dedans: gel de salaires, licenciements, austérité, blocage des prix, réduction de la dette. Les pays à genoux devaient se soumettre au régime sec imposé par le FMI au nom des pays prêteurs. Le FMI envoyait ses spécialistes en Argentine et celle-ci devait faire ce qu’on lui disait, tout ce qu’on lui disait. La sanction du refus éventuel des pays concernés était la faillite. La solution ne pouvait être que celle du FMI. Si le pays se soumettait, le FMI arrivait alors avec les dollars garantis sur plus rien, car le dollar était imprimé par la seule vertu d’une planche à billets utilisée sans restriction.
Payés en monnaie de papier ou pas payés du tout, telle était alors la singulière alternative qui s’offrait aux pays émergents pour sauver leurs économies.
La seconde phase, c’est-à-dire la troisième jeunesse du FMI, est née de la crise des subprimes. En 2007, le Fonds Monétaire International est devenu les go between des les riches pays de la planète en cours de dévastation financière. Le FMI engage à la solidarité financière, puis à la rigueur, puis à l’orthodoxie comptable et financière issue de Bâle 3. Le FMI soutient les Etats-Unis et l’Europe. Le FMI court et bascule avec l’affaire Strass Kahn.
La désignation de Christine Lagarde par les riches pays de la planète est cependant compliquée en 2011 par la résistance déterminée de la Chine, de l’Inde, du Mexique et du Brésil, qui entre autres demandent des garanties et des gages pour le fonctionnement de la nouvelle institution, marquant ainsi un nouveau rapport de force dans le monde monétaire et financier international.
Depuis, la crise de la dette américaine, puis grecque, puis celle de l’Euro ont donné par défaut au FMI un rôle de baroudeur des mers déchainées de la crise monétaire et financière. Dans toutes les réunions le FMI est là. Pour quoi faire ? Nul ne le sait vraiment.
Pour recevoir des fonds et les redistribuer ?
Sans doute.
Lundi encore, Christine Lagarde était à Berlin pour tenter de persuader Angela Meckel de donner plus. Et peut-être demain devra-t-elle convaincre la Grèce de recevoir moins.
Mais il n’échappera à personne qu’en plus de la crise financière généralisée on assiste aujourd’hui à une véritable crise d’identité du Fonds Monétaire International. Vantant hier la recapitalisation des banques et l’austérité budgétaire, le FMI s’aperçoit aujourd’hui du fait que ces deux mesures contribuent à créer l’étranglement des liquidités qu’elles veulent prévenir. Le FMI fait donc marche arrière, sans le dire, tout en le disant.
A la décharge du FMI, il faut bien dire que les autres institutions et certains gouvernements non plus ne savent plus quoi faire.
Dans cette confusion générale, alors que la directrice générale du FMI parcourt inlassablement la planète à la recherche de solutions d’évidence difficiles, et tandis que beaucoup ne savent plus ni que dire, ni que faire, la seule question qui se pose peut-être aujourd’hui est bien mais qu’allait donc faire Christine Lagarde dans cette galère à Berlin lundi dernier?
Olivier Chazoule
Tuesday, January 24, 2012
Tuesday, January 17, 2012
Faut-il vraiment rembourser la dette souveraine ?
Les notes se dégradent. La situation aussi.
Faut-il rembourser la dette souveraine ou bien s’en abstenir ?
Un moyen terme est-il possible ? Et à quel prix ?
A l’heure de la dégradation de la situation financière internationale et de la dégradation de la notation continue des principaux pays industrialisés (Etats-Unis, Japon, France, Italie, Espagne, etc.) se pose avec acuité la problématique du remboursement de la dette souveraine.
Certains se demandent s’il est nécessaire de rembourser.
D’autres affirment que non.
Et les troisièmes disent que cela n’a pas s’importance car ils proposent une autre solution.
En premier lieu donc, certains se demandent s’il est nécessaire de rembourser.
Ne pas rembourser c’est paraît-il s’exposer à ce que l’on ne vous prête plus dans le futur. La France ne pourrait donc plus emprunter si elle ne remboursait pas sa dette.
Mais est-ce bien vrai ?
Et si c’est le cas, est-ce que cela mérite que l’on s’en inquiète ?
Un exemple contradictoire nous est donné par le voisin aujourd’hui vertueux qu’est l’Allemagne. Car enfin, cette dernière a-t-elle toujours remboursé ses dettes ? La réponse est : oui et non.
L’Allemagne en effet, à la suite du Traité de Versailles de 1919, a dû accepter de rembourser à la France et à l’Angleterre en juin 1919 de considérables dettes de guerre. Cette dette colossale que John Maynard Keynes avait en vain voulu réduire des neuf dixièmes fut imposée à la République de Weimar par les puissances alliées. Cette dette fut si lourde pour les Allemands que d’aucuns y virent la cause essentielle de l’inflation allemande de l’après-guerre, devenue ensuite hyperinflation du Reichsmark.
Les mêmes observateurs sont presque unanimes à voir dans cette dette de guerre un facteur essentiel dans la montée et le triomphe du nazisme. S’appuyant sur le mécontentement populaire face à cette dette imposée monstrueuse aussi bien que face à une humiliation permanente du peuple allemand contraint de se soumettre à l’inflexible volonté des vainqueurs, Hitler et le nazisme y trouvèrent un terreau plus que propice au développement de leur idéologie et à l’assise de leur pouvoir.
En plus de ceux cités précédemment, plusieurs enseignements sont à tirer de cet épisode malheureux: la BRI, Bâle 1, Bâle 2 et Bâle 3, l’orthodoxie financière, une durée de remboursement de la dette supérieur a 90 ans, et la confusion des esprits financiers.
En effet, c’est en 1930 que naquit la Banque des Règlements Internationaux (BRI), qui est aujourd’hui la plus ancienne institution financière internationale. Cette BRI avait pour fonction unique la gestion et la répartition des réparations allemandes versées aux vainqueurs. Comme cette fonction s’est amenuisée en importance avec le temps, la BRI est devenue le forum des vainqueurs, puis le forum de tous les banquiers centraux de la planète. En d’autres termes, les représentants des Banques Centrales du monde ayant pris l’habitude de se retrouver à Bâle, en Suisse, pour gérer le remboursement de la dette allemande, ils se sont mis à parler d’autre chose, de tout et de rien, et - pourquoi pas – notamment de l’organisation financière de la planète. C’est de Bâle qu’on été étudiées, envisagées, décidées et lancées les réglementations financières et bancaires internationales appelées Bâle 1, Bâle 2 et Bâle 3, règles désormais fondamentales d’une certaine orthodoxie financière.
Bâle 3, c’est notamment l’accroissement des réserves des banques pour en assurer la viabilité, un angle cher à Christine Lagarde, directrice générale du Fonds Monétaire International.
A tel point qu’on appelle aujourd’hui la Banque des Règlements Internationaux la Banque Centrale des Banques Centrales.
Mais on l’a vu, cette dette allemande fut cependant aussi à l’origine d’une inflation gigantesque restée tristement célèbre du fait de la nécessité pour les Allemands d’aller acheter son pain en 1923 avec une brouette contenant de la monnaie, le Reichsmark. La montée du nazisme fut concomitante.
L’épisode moins connu de cette dramatique épopée financière est le sort du remboursement de la dette allemande qui prit plus de 90 ans. Ce n’est en effet qu’à l’automne 2010 que l’Allemagne effectua le dernier versement à la BRI pour régler ses dettes de la guerre de 14-18.
Les résultats du remboursement de la dette allemande sont donc très contrastés : un processus qui s’étale interminablement sur 90 ans, le fantôme du nazisme favorisé par une pression infernale du poids de la dette sur la population allemande, la naissance d’une informelle mais bien réelle Banque Centrale des Banques Centrales, des réglementations financières internationales orthodoxes et contraignantes, mais aussi la confusion des esprits financiers.
Cette confusion, c’est la grande difficulté de se prononcer sur un bilan incontesté et incontestable de cette affaire des dettes de guerre allemande. Ainsi reste posée toute entière la question de savoir si un Etat et sa population au travail doivent rembourser n’importe quelle dette à n’importe condition et si la population de cet Etat doit s’épuiser à la tâche pour rembourser des emprunts contractés sans son consentement exprès à des conditions inconnues de cette population laborieuse.
Question purement théorique ? Peut-être.
La Constitution des Etats-Unis, dans son Treizième Amendement, apporte toutefois une ébauche de réponse : l’interdiction de l’esclavage. Cet amendement fonde aujourd’hui une jurisprudence constante bien contemporaine et binding [c’est-à-dire qui s’impose en droit et dans les faits] des tribunaux fédéraux américains et de ceux des Etats américains comme l’Etat de New York: en vertu du Treizième Amendement aucun individu ne peut être contraint au travail pour régler une dette.
Au remboursement oui, dans la mesure de sa solvabilité.
Au travail non.
La troisième solution, autre que le remboursement ou le refus de remboursement, c’est l’hyperinflation. L’Allemagne avec 3,2 millions de % d’inflation entre 1920 et 1923 en est la terrible illustration. Et avant elle les Etats-Unis pendant la guerre de sécession entre 1861 et 1965, mais aussi la Russie, la Chine, et la plupart des pays du monde qui ont connu leurs épisodes de grande inflation, voire d’hyperinflation.
Dans le régime d’hyperinflation on rembourse sa dette. Mais on la rembourse en monnaie de singe.
Ne pas rembourser c’est la honte. Et selon La Fontaine on risque de ne plus se faire prêter un sou quand la nouvelle bise sera venu.
Rembourser coûte que coûte et s’épuiser à la tâche, c’est peut-être aboutir, comme le disait Molière, à ce que le malade meure guéri.
Nu besoin de chercher chez Esope le résultat possible d’un remboursement en monnaie de singe. C’est sans doute chez Racine et ses Plaideurs que se trouve la réponse.
Olivier Chazoule
Sunday, January 1, 2012
700 milliards de dollars en un jour
Avec 700 milliards de dollars dépensés en un jour, la Banque Centrale Européenne dame le pion au Gouvernement Américain
700 milliards de dollars! C’est le montant colossal des désormais fameux TARP, les fonds du Troubled Asset Relief Program, décidé en 2008 par le gouvernement américain et signé par le président Georges W. Bush le 3 octobre 2008 pour sauver le système financier américain menacé de faillite.
Cette somme énorme a fait grand bruit à l’époque. Elle était destinée à renforcer le système financier américain mis à mal par la crise de subprimes de 2007-2008, elle-même suivie par la crise du credit crunch qui vit les banques internationales cesser de se prêter entre elles du fait de la défiance sur le LIBOR instaurée par la chute de Lehman Brothers.
Les TARP étaient destinées à des achats massifs de valeurs financières et de parts en capital (assets & equity), pour éponger les mauvaises dettes fondées sur MBS, les Mortgage Backed Securities.
De larges polémiques s’étaient développées alors du fait que ces mesures d’assistance, de montants jamais atteints, avaient été décidées par un gouvernement américain ultraconservateur, celui de Georges W. Bush, pour être ensuite mises en œuvre par l’administration Obama, une administration démocrate.
Les fonds avaient été dispersés dans des actions plus proches de celles du New Deal de Roosevelt (soutien à l’économie par des investissements publics considérables) plutôt que par un emploi conforme à celui qui était prévu à l’origine, c’est-à-dire le soutien direct aux marchés financiers. C’est ainsi que les grandes villes comme New York avaient utilisé une partie de ces TARP pour regoudronner leurs rues et avenues.
Mais la polémique s’était surtout concentrée pendant 18 mois sur ces 700 milliards de dollars qui avaient bouleversé le monde financier américain et international.
Aujourd’hui, dans la discrétion la plus absolue, au milieu des fêtes de la fin d’année 2011, la même somme a été dispersée en… un jour.
Ce sont en effet, 489 milliards d’euros, soit 639 milliards de dollars au change du jour, quasiment l’équivalent de 700 milliards, qui ont été dispersés le 21 décembre par la Banque Centrale Européenne sous la forme de prêts à taux réduits consentis simultanément à des centaines de banques européennes en proie à de sérieux manques de liquidités.
Bien entendu, la technique financière n'est pas la même. Les TARP étaient des achats de créances effectués par le Trésor Américain, alors que les prêts du 21 décembre ont été consentis par la Banque Centrale Européenne.
Cette différence est cependant très relative dans sa structure et dans ses effets.
En matière financière pure en effet, ce type de prêts fondés sur des valeurs collatérales de garanties déséquilibrées (pour ne pas dire douteuses) ou ces achats de créances elles-mêmes très volatiles, reviennent strictement au même en terme de risk management.
En matière de droit financier, particulièrement sur le plan téléologique, c'est-à-dire du point de vue des objectifs poursuivis, les fondements du Trésor U.S. créé en 1789 et ceux de la Banque Centrale Européenne sont étonnamment plus proches que ceux du Federal Reserve System (FED) créé en 1913 et de celui de la Banque Centrale Européenne créée en 1998 par le Traité d’Amsterdam.
En matière monétaire, d’approche keynésienne ou non, les deux opérations sont quasiment équivalentes du point de vue de la création de monnaie et donc de l’accroissement des liquidités.
Deux différences notables subsistent cependant.
D’abord les TARP, furent étalés sur 18 mois, alors que les prêts de la Banque Centrale Européenne ont été libérés en un seul jour, soit une injection de liquidités relativement 549 fois plus forte.
Ensuite, les TARP ont révolutionné le système financier international alors que les prêts de la BCE n’ont ému personne.
Signe des temps et d’un apaisement des mœurs financières, ou signe d’une banalisation des mesures d’exceptionnelles destinées à sauvegarder le système financier international ?
Le droit financier américain a emprunté certaines notions essentielles au droit romain. Ici, on ne pourra s’empêcher de conclure par cette citation juridique traditionnelle :
Res Ipsa Loquitur
[que l’on peut traduire par les faits parlent d’eux-mêmes]
L’intégralité de la citation, elle, est plus énigmatique :
Res Ipsa Loquitur Tabula in Naufragio
[traduction libre laissée aux lecteurs]
Olivier Chazoule
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